Les cétacés sont-ils adaptés pour les grandes profondeurs ?
A votre avis, quel est le cétacé qui plonge le plus profond ? Le cachalot est capable de plonger jusqu’à 2000m, la baleine à bec de cuvier jusqu’à 2992m et pendant 2h17 et l’orque 1090m !
Mais comment font-ils pour rester sous l’eau si longtemps et si profond ?
Ce n’est pas qu’une question d’apnée ! Les profondeurs sont un milieu hostile :
• Fortes pressions : la pression augmente de 1bar tous les 10m sous l’eau. En surface, elle est de 1bar, à 10m, de 2 bars, et donc à 1000m… de 101bars !
• Un froid permanent : la température de l’eau dans les abysses est d’environ 2°C.
• Un isolement total : et oui, pour les cétacés qui doivent respirer en surface, plonger si profond les isole totalement de la surface, et il leur faut suffisamment d’air pour descendre mais également pour remonter, ce qui implique une bonne gestion de l’air.
Comment les cétacés se sont adaptés ?
• La résistance au froid : les cétacés possèdent une épaisse couche de gras isolante. De plus, leur réseau artériel est dit « à contre-flux» : les artères sont entourées par les veines. Les artères qui vont vers les muscles transportent un sang chaud, ce qui réchauffe les veines retournant dans le corps et donc évite de refroidir l’animal.
• Les poumons : ce qui vient directement à l’esprit pour pallier au manque d’air est la taille des poumons : plus ils sont grands, plus on peut prendre d’air et plus on reste en apnée longtemps, non ? Et bien non, les cétacés n’ont pas de poumons immenses. Au contraire, ils sont en proportion plus petits que chez l’Homme. En revanche, ils sont bien plus efficaces : quand l’être humain renouvelle 15% de son air à chaque respiration, les cétacés en renouvellent 90%.
• Un sang plus efficace : Si les mammifères doivent respirer, c’est pour inhaler du dioxygène (O2), nécessaire au fonctionnement des organes, du cerveau, et des muscles. L’O2 que l’on respire se fixe sur l’hémoglobine des globules rouges dans le sang, et sur la myoglobine dans les cellules. Le sang des cétacés contient beaucoup d’oxygène grâce aux grandes quantités de myoglobine et d’hémoglobine. Ils ont également un plus grand volume sanguin ce qui leur permet de stocker beaucoup d’O2 dans tout leur corps, et non pas principalement dans les poumons comme chez l’Homme. Enfin, le cœur voit son rythme diminuer radicalement. Par exemple, chez les marsouins, le cœur après une respiration bat à 120 pulsations/minute (p/m), contre 60 p/m en plongée.
• En plongée, priorité à la survie : Lors de la plongée des cétacés, un shunt vasculaire se met en place. Le sang n’oxygène que les muscles, les organes vitaux et le cerveau. Cette adaptation permet de réaliser encore des économies d’O2. Le sang non utilisé par les organes est stocké dans le rete mirabile (réseau admirable), un réseau d’artères et de veines situé le long des vertèbres.
• Les accidents de décompression : maintenant que l’on sait comment les cétacés économisent leur oxygène, il faut qu’ils arrivent à supporter la pression des grands fonds. Tout d’abord, les cétacés n’ont pas de sinus comme les autres mammifères terrestres et leurs oreilles sont adaptées aux fortes pressions. Leur système respiratoire est complètement isolé du système digestif, évitant la présence d’air dans celui-ci. Au niveau des poumons, la cage thoracique s’écrase avec la pression car les côtes sont souples. Lorsque la limite de déformation est atteinte, le rete mirabile , chargé en sang, permet de rigidifier la cage thoracique et d’éviter une trop forte déformation. Leurs yeux sont protégés par une épaisse enveloppe et des vaisseaux sanguins bien agencés pour résister à la pression.
Mais le plus grand danger lors de la descente en profondeur, bien connu des plongeurs, est la présence d’azote dans le sang. L’azote, composant 80% de l’air que l’on respire, se dissout naturellement dans le sang et les tissus. Si cela n’est pas gênant dans la vie de tous les jours, cette particularité devient extrêmement dangereuse lors de fortes variations de pression. En effet, l’azote dissout forme des microbulles dans le sang, et si la pression diminue rapidement (dans le cas d’une remontée rapide par exemple), ces bulles grossissent et se retrouvent coincées dans les tissus et le sang, entrainant des lésions dans le corps, parfois mortelles (d’où la nécessiter de faire des paliers de décompression pour les plongeurs). Les plongées en apnée répétées amènent à ce genre de symptômes, et donc les cétacés n’y sont pas étrangers. Cette fois encore, ils ont su faire face à ce problème : curieusement, ils expirent avant de plonger, afin d’emporter peu d’air, donc peu d’azote, et ainsi éviter les accidents de décompression. L’air restant dans les poumons est déplacé vers un espace non vascularisé, qui évite déplacer de l’azote dans le sang. Enfin, la forte affinité de leur hémoglobine pour l’O2 permet de diminuer la quantité d’azote dans les organes et dans le sang.
Une adaptation chez le cachalot : le spermaceti
Dans la tête du cachalot se cache un organe : le melon, contenant le spermaceti. Ce liquide peut changer de densité en fonction des variations de température. Ainsi, en baissant la température de ce liquide, il se solidifie et gagne en densité, et à l’inverse avec une température plus élevé il devient liquide, perdant ainsi en densité. Grâce à cette propriété, le cachalot peut jouer sur la densité de cet organe en changeant sa température via les vaisseaux sanguins, et ainsi s’en servir comme d’un ballast pour couler ou flotter. Il économise ainsi son activité musculaire pour ses descentes en eau profonde.
Mais alors, comment fait la baleine à bec de Cuvier pour surpasser le cachalot ?
Ces adaptations existent chez tous les cétacés. Les différences de performances entre espèces se jouent sur des teneurs différentes en myoglobine et hémoglobine Ainsi, chez la baleine à bec de Cuvier, la teneur en myoglobine et en hémoglobine est plus élevée que chez les autres cétacés (4,3g/100g de muscle, contre par exemple 2,7g/100g chez le grand dauphin). D’autres adaptations morphologiques existent, comme par exemple la taille des fibres musculaires, plus grosses chez les baleines à bec. Les cétacés n’ont pas fini de nous surprendre et de nombreuses adaptations physiologiques restent encore à découvrir !
Des prétendants au titre de plongée profonde chez les mammifères ?
Nous avons ici parlé des cétacés, mais n’oublions pas que chez les mammifères marins, les pinnipèdes sont également d’impressionnants plongeurs. Les pinnipèdes ? Ce sont des mammifères aux pattes palmées : les phoques, otaries, et morses. Chez eux aussi, la plongée est maîtrisée : chez les phoques un spécimen a passé 2h sous l’eau, et l’éléphant de mer peut plonger jusqu’à 2300m !
Des plongeurs pas invincibles
Même super adaptés, les cétacés ne sont pas invincibles sous l’eau. De nombreux échouages d’animaux, et en particulier de baleines à bec, ont permis identifier un accident de décompression comme étant la cause du décès. Des remontées trop rapides sont parfois létales pour les cétacés. Pourquoi un cétacé remonterait trop rapidement au point de mourir ? Les bruits des sonars militaires semblent être à l’origine de nombreux échouages massifs. Les scientifiques supposent que pour ces animaux utilisant des sons pour se déplacer dans le noir des abysses, de tels bruits étrangers les apeurent et les contraignent à la fuite. Les ondes sismiques peuvent aussi effrayer les individus, les entraînant trop rapidement à la surface…
Rédaction : L.Leseignoux
Références :
-Livret pedagogique High Quality Whale-Watching
-Noren, S. R., & Williams, T. M. (2000). Body size and skeletal muscle myoglobin of cetaceans: adaptations for maximizing dive duration. Comparative Biochemistry and Physiology Part A: Molecular & Integrative Physiology, 126(2), 181-191.
-Ridgway, S. H. (1986). Diving by cetaceans. Diving in animals and man, 33-62.
-Schorr, G. S., Falcone, E. A., Moretti, D. J., & Andrews, R. D. (2014). First long-term behavioral records from Cuvier’s beaked whales (Ziphius cavirostris) reveal record-breaking dives. PloS one, 9(3), e92633.
-Sierra, E., Fernández, A., De Los Monteros, A. E., Díaz-Delgado, J., De Quirós, Y. B., García-Álvarez, N., … & Herráez, P. (2015). Comparative histology of muscle in free ranging cetaceans: shallow versus deep diving species. Scientific reports, 5, 15909.
-Tyack, P. L., Johnson, M., Soto, N. A., Sturlese, A., & Madsen, P. T. (2006). Extreme diving of beaked whales. Journal of Experimental Biology, 209(21), 4238-4253. – www.baleinesendirect.org